Saint Claude, la capitale de la pipe ?
Suite à une brève introduction du podcast "La pipe, c'est mieux", nous entrons désormais dans le vif du sujet ! Pour ce premier épisode, Philippe, l'animateur de ce podcast, aborde l'histoire de Saint-Claude afin de répondre à la question : "Pourquoi appelle-t-on Saint Claude, la capitale de la pipe ?"
La question que tout le monde se pose :
Bonjour et bienvenue dans ce nouvel épisode de "La pipe, c'est mieux". Aujourd'hui, je vais essayer de répondre à une question que l'on m'a poser à de nombreuses reprises : "Pourquoi est-ce qu'on appelle Saint-Claude la capitale de la pipe ?" Pour comprendre comment Saint-Claude est devenue la capitale de la pipe, il faut remonter dans son histoire et ce jusqu'au moyen-âge...
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L'histoire de Condat :
Alors, pour commencer on se situe vers le 6ème siècle. A cette époque, Saint-Claude ne s'appelle pas encore Saint-Claude. La ville s'appelle Condat et la majorité des habitants sont en fait des moines qui occupent le monastère local. La présence du monastère attire beaucoup de passage et grâce à cela on observe la naissance d'une industrie de la tournerie qui prend peu à peu de l'essor. Néanmoins à cette époque, toute cette industrie est concentrée sur des objets religieux. On va trouver notamment des chapelets. Alors au fil du temps, le monastère devient une vaste abbaye où viennent se recueillir des personnalités telles que Louis XI ou bien Anne de Bretagne. Les activités de la région se développent et on retrouvera principalement la tabletterie qui est l'art de fabriquer des petits objets en bois mais aussi la métallurgie et la fabrication du papier. Néanmoins, au début du 19ème siècle, seule la tournerie et la tabletterie perdurent encore. Les autres artisanats ont disparu de la région. Donc il est important de noter qu'à cette époque le nom de Saint-Claude est complètement inconnu du grand public. La raison est très simple : à cette époque, à Saint-Claude, on y fabrique seulement le tuyau de la pipe. Les tuyaux peuvent être en bois, en corne, en terre, en porcelaine. Mais néanmoins, Saint-Claude s'occupe seulement des tuyaux. Une fois qu'ils sont terminés, les tuyaux sont envoyés chez des pipiers allemands ou autrichiens qui vont assembler les pièces en provenance de différents endroits et vendre les pipes sous leur nom propre. Donc c'est pour ça que la marque Saint-Claude ou le nom d'usine ou d'artisans de Saint-Claude n'apparaît nul part. Bien que les artisans locaux soient uniquement spécialisés dans les tuyaux, ils ont fini par acquérir une certaine expérience du façonnage de la pipe. C'est pour ça qu'à partir d'environ 1840, on a quand même certains ateliers et certaines usines qui sont spécialisés dans la pipe qui vont apparaître. Néanmoins c'est quelque chose de vraiment anecdotique parce qu'il y a seulement trois entreprises et ces trois entreprises rassemblent environ une vingtaine d'artisans au total. Donc on est vraiment sur des structures de petite taille.
Le boom de la pipe à Saint-Claude et en France va être principalement dû à deux facteurs. Le premier c'est l'utilisation massive de l'énergie hydraulique ce qui permet de passer d'ateliers de petite taille à vraiment des usines de grande dimension. C'est pour ça qu'à Saint-Claude, on retrouvera les usines tout le long du Tacon et de la Bienne. Ce sont les deux rivières qui traversent la ville. Tout simplement parce que c'est la proximité avec les rivières qui permet à ces structures d'utiliser l'énergie hydraulique et ensuite c'est tout simplement avec la découverte de la bruyère. Alors si je dis "découverte", c'est vraiment parce que cette époque, la bruyère est un matériau réellement inconnu des tourneurs de Saint-Claude. A cette époque, les pipes sont fabriquées dans des essences de bois qui sont disponibles localement. On va retrouver notamment le hêtre ou le merisier. Ce sont des bois qui sont très faciles à travailler mais qui n'offrent pas une résistance à la chaleur satisfaisante. Tôt ou tard, ces pipes finissent par se percer ou par brûler et, en plus, elles ont un goût un petit peu acide. Concrètement, le goût du tabac n'est pas restitué de la meilleure des façons. C'est un petit peu âcre et résultat on ne peut pas vraiment apprécier le goût du tabac.
La découverte de la pipe en bruyère :
Alors, il existe de nombreuses versions à cette découverte de la pipe et c'est souvent source de débat entre les familles du Haut-Jura ou bien entre Saint-Claude et Cogolin, qui est un autre lieu où on va trouver une usine de pipes. Malgré le flou ambiant, il y a une histoire qui se démarque et c'est le témoignage de Jules Ligier, c'est un artisan tourneur qui travaillait à la maison Gay, une tournerie qui était située place de l'Abbaye, en plein coeur de Saint-Claude. Dans les premiers jours d'octobre 1858, on a un certain monsieur Taffanel, donc c'est un fournisseur de buis, qui se présente aux ateliers de la maison Gay. Et donc, Monsieur Ligier lui passe commande d'une très grande quantité de buis donc pour la fabrication de tabatières. Ils vont discuter tranquillement de la pluie, du beau temps, ils échangent des nouvelles et au cours de la discussion Taffanel va sortir un mystérieux morceau de bois de sa poche. Et il dit voilà c'est un ami berger qui a fumé cette pipe pendant plus d'un an. Il faut imaginer un hexagone en bruyère dont la partie centrale est percée et qui est muni d'un tuyau en ce qui semble être du bambou et malgré une utilisation plutôt intensive, elle n'est pas particulièrement brûlée, elle n'est pas spécialement en mauvais état.
Jules Ligier qui est un tourneur très expérimenté, est très intrigué par cette pipe. Il va longuement questionner Taffanel et puis il hésite un petit peu... et il va finalement passer une commande supplémentaire de deux sacs d'ébauchons en plus des 10000 kilos de buis qu'il avait acheté auparavant. Alors heureusement les ébauchons sont livrés très rapidement avant la fin du mois d'octobre. Les artisans de la maison Gay sont tellement enthousiastes que tous les ébauchons sont tournés et montés en moins d'une semaine. Ces pipes en bruyère qui en découlent sont si prometteuses que toutes sont vendues en quelques jours. On en envoie même certaines à Paris et en Belgique ! Donc finalement c'est cette rencontre, qui est presque anecdotique entre Ligier et Taffanel, qui va marquer le début d'un âge d'or pour Saint-Claude. Finalement, fabriquer une pipe ce n'est jamais que de la tournerie et justement Saint-Claude, c'est la plaque tournante de la tournerie en France. On y trouve naturellement les usines mais principalement le savoir faire. La bruyère proviendra du sud de la France, de la Corse et selon les époques, elle pourra également venir de Sardaigne, d'Italie en général mais également d'Afrique du nord, par exemple l'Algérie ou bien des Balkans avec l'Albanie...
Un fort engouement pour la fabrication de la pipe :
En 30 ans, le nombre d'ouvriers qui travaillent dans la pipe passe de seulement 20 personnes à plus de 6000 auxquels vont s'ajouter 500 femmes et 200 enfants environ. Donc, ces environ 7000 personnes représentent plus de la moitié de la population de Saint-Claude. Le nombre de fabrique est multiplié par 20 pour attendre environ 60 établissements. L'époque qui va suivre le 20ème siècle va être une succession de crises et d'âge d'or pour la pipe. Vers les années 1900-1905, de nombreux ouvriers talentueux de Saint-Claude vont finalement quitter la ville pour se rendre en Angleterre car ils vont recevoir de nombreuses offres très avantageuses de la part de ces fabricants. Il faut savoir que la situation à Saint-Claude est en fait assez difficile. Au final, l'offre est trop importante et ça va tirer les prix à la vente ainsi que les salaires vers le bas. De plus, pour mieux contrôler la main d'œuvre, les ouvriers sont divisés en catégories selon les passes qu'ils vont effectuer. Alors, une passe pour expliquer simplement, c'est une étape dans la fabrication de la pipe. Par exemple, ça peut être le tournage de la tige, le perçage du foyer, le polissage ou la finition.
En fonction des passes réalisées les ouvriers vont être catégorisés différemment. Ils vont également recevoir un salaire et des conditions de travail qui vont être très variables. De façon à faire front et à s'organiser, les ouvriers vont former des syndicats mais aussi des caisses de prévoyance comme la Fraternelle qui est bien connue des sanclaudiens d'aujourd'hui. Travailler dans les ateliers de l'époque était un travail qui est assez dangereux. On a beaucoup de machines qui fonctionnent avec très peu de protection. Ce qui se passait, c'est quand un ouvrier était blessé, perdait un doigt ou perdait une main eh bien, malheureusement il perdait aussi son travail ! Pour éviter ce genre de tragédies, les caisses de prévoyance ont été formées. Les ouvriers payent mensuellement un certain montant de leur salaire et en cas de blessure, la caisse de prévoyance va donner une pension aux ouvriers qui ont subi une blessure. C'est en quelque sorte une sorte d'assurance maladie tout simplement...
Les pipes de Saint-Claude exportées dans le monde entier :
Avant la seconde guerre mondiale, Saint-Claude produisait jusqu'à 28 millions de pipes par an à elle seule ! Cela représente plus de la moitié de la production mondiale. Néanmoins, au lendemain de la guerre, la production chute à seulement 4,5 millions de pipes par an, ce qui occupait environ 4500 ouvriers, soit à peu près un tiers de la population de Saint-Claude. Néanmoins, c'est une époque très faste pour Saint-Claude car 60% de la production est exportée, notamment vers les Etats-Unis. De ce fait, les prix des pipes sont indexés sur le niveau de vie américain, qui à l'époque est très supérieur à celui des français. Mais malheureusement, la crise de 1929 marque un terrible tournant. Pour protéger leurs économies, les américains vont mettre en place d'énormes taxes à l'importation et concrètement et bien c'est le premier marché des pipes de Saint-Claude qui va disparaître presque du jour au lendemain. Ce phénomène va toucher un petit peu tous les pipiers d'Europe, les pipiers allemands vont connaître les mêmes difficultés et leur production sera environ divisée par deux. Les anglais vont arriver à se maintenir tant bien que mal. Au contraire, les italiens eux vont faire bondir leur production de plus de 150% car ils sont très réactifs et ils vont réorienter leur production vers des pipes peu chères et plus faciles à vendre en temps de crise.
A Saint-Claude, les coopératives et les fabriques vont se concentrer et on passe de 80 structures à seulement une petite trentaine. La seconde guerre mondiale va marquer un second arrêt. La France est divisée à partir de 1942 et Saint-Claude se retrouve dans la zone occupée, ce qui va complètement la couper des approvisionnements en bruyère, qui eux sont situés autour de la Méditerranée. Pour survivre, les artisans pipiers vont exhumer les vieux stocks et puis ils vont également exploiter de nouveau les bois de la région donc on verra réapparaître des pipes en bruyère ou en buis alors qu'elles étaient disparues depuis presque 70 ans. Au lendemain de la seconde guerre mondiale, on retrouvera uniquement 20 industriels pipiers qui occupent seulement 600 ouvriers en 1954. Néanmoins, Saint-Claude va conserver son image de marque auprès de la demande étrangère. On verra de nouveaux marchés apparaître durant la seconde moitié du 20ème siècle. Par exemple, on aura la Russie, la Chine et l'Asie du sud-est qui vont devenir de nouveaux marchés très forts pour la pipe. Aujourd'hui, les pipiers sanclaudiens fournissent à eux seuls une très large part du marché intérieur français et continuent d'exporter environ 60% de leur production. Néanmoins, encore une fois, les effectifs ont fondu et seule une vingtaine d'ouvriers sont actifs pour une production estimée environ 60-65000 pipes. Alors, parmi la vingtaine d'usines actives en 1960, il n'en reste plus qu'une seule. Toutefois une poignée d'ateliers indépendants parviennent à tirer leur épingle du jeu en proposant des pipes de très haute qualité mais en quantité très réduite. On aura notamment Pierre Morel qui est spécialisé dans les pipes fait main. Ce sont des pipes qui sont faites à l'unité et qui sont des pièces uniques. On aura également Roger Vincent qui lui est spécialisé dans les pipes sculptées notamment des bustes. Dans d'autres endroits en France, on aura également des artisans fabricants de pipes, je pense notamment à Rostiak et à Nuttens aussi.
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Voilà, c'est tout pour l'épisode d'aujourd'hui. J'espère que vous avez trouvé ça intéressant et vous avez peut-être appris quelques petites choses. En tout cas, je vous remercie de votre attention et je vous dis à très bientôt pour un nouvel épisode. En attendant, n'hésitez pas à mettre un commentaire ou une note et à partager ça autour de vous.
Philippe, La Pipe Rit
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